Auteure canadienne à succès, Susin Nielsen est bien connue de nombreux lecteurs (et surtout lectrices) français pour ses romans très populaires dont les personnages évoluent souvent dans une période compliquée que vous connaissez bien : l’adolescence. Alors que son dernier roman, Les optimistes meurent en premier, est récemment sorti en France, Yvon l’a rencontrée pour échanger avec elle sur son métier et son regard sur le monde des ados.
Vos romans mêlent la gravité et l’humour, la légèreté et la profondeur… On peut y rire mais aussi ressentir des émotions très profondes à la lecture des souffrances des ados, et des situations difficiles qu‘ils traversent dans leur relation aux autres. Comment faites-vous, dans votre travail d’écriture, dans votre inspiration, pour arriver à jouer sur la souffrance et la dérision à la fois ?
Susin Nielsen : Cela peut paraître étrange mais je n’imagine pas écrire un roman sans y apporter et humour et intensité. Je pense que chacun d’entre nous a une vision particulière de la vie (par exemple, je suis totalement convaincue d’être une optimiste), et si l’on écrit, cette vision se reflète dans nos textes. La vie comporte son lot de souffrance et de tristesse, mais de grandes joies aussi, et le rire est vraiment un excellent médicament. Je pense également que j’écris le genre de romans que j’aime lire… J’adore les romans qui parviennent à mélanger de vrais problèmes, réalistes, avec de l’humour : David Sedaris est l’un de mes auteurs préférés, par exemple, même si son travail est le plus souvent biographique. Et parce que mes romans ont été, jusqu’ici, narrés à la première personne, je suis vraiment en mesure de m’enfouir dans la peau de mes personnages. Je pense que cela permet de ressentir leur souffrance de manière viscérale. Et même si eux-mêmes peuvent ne pas imaginer qu’ils sont drôles, nous, en tant que lecteurs, pouvons y voir de l’humour – si les gens entendaient nos monologues intérieurs, ils en riraient avec nous !
Le titre de votre dernier est intriguant, voire un peu décourageant si on s’arrête à la couverture … Sans dévoiler l’histoire, pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi ce titre ?
Susin Nielsen :La première mouture du roman était très différente de ce qu’il est devenu, et le titre original était à peu près aussi bon que le texte – c’est-à-dire franchement nul. J’ai presque honte de le dévoiler, mais le voici : La Bande originale de ma vie. Heureusement, j’ai des éditeurs incroyables, et ils m’ont lentement guidée vers l’histoire que j’avais en moi. Le manuscrit s’est amélioré, mais je n’avais toujours pas de titre. Jusqu’à ce que je parte en tournée littéraire avec mon amie, l’auteure canadienne de romans Susan Juby. Nous nous sommes mises à parler de Goodreads (site américain contenant de nombreux comptes-rendus de lecture, goodreads.com) : si vous lisez dix critiques de votre livre, que neuf sont géniales et la dixième terrible, c’est la critique assassine que vous allez retenir. Susan a évoqué le fait que nous étions programmés ainsi, d’un point de vue évolutionniste : on est en alerte par rapport à tout ce qui sort de l’ordinaire, car c’est ce qui pourrait nous sauver la vie. Par exemple, vous êtes à la plage. L’eau se retire, les oiseaux se taisent, la plage est silencieuse, magnifique. Un optimiste se dirait : « C’est merveilleux ». Un pessimiste penserait : « Tsunami ». Cette idée m’a travaillée, j’ai fait des recherches en ligne et découvert des études qui montrent que les pessimistes ont tendance à vivre plus longtemps que les optimistes, parce qu’ils ne prennent pas autant de risques. C’est ainsi que le nouveau titre a surgi dans mon esprit, et je savais que c’était « le bon ». Il m’a aidée à affiner le roman, et le personnage de Pétula. Pour être honnête, j’adore ce titre, et les réactions qu’il provoque. Souvent, les personnes ont le souffle coupé, et ensuite, elles rient.
On sent que vous portez un regard très sensible sur l’adolescence. Pour reprendre encore le titre de votre dernier roman, à votre avis, qu’est-ce qui manque aux ados pour être optimistes ?
Susin Nielsen :Eh bien, je pense que quelques adolescents sont très certainement très optimistes… mais pour un grand nombre d’entre eux, ces années-là sont vraiment difficiles. Elles l’ont certainement été pour moi. J’étais une enfant très solaire, très optimiste, jusqu’à mes treize ans environ. C’est là que j’ai commencé à vivre des choses qui m’ont fait prendre conscience que le monde n’était pas toujours un endroit heureux. Vous grandissez tellement, durant ces années d’adolescence : physiquement, intellectuellement, spirituellement, psychiquement… Ce sont ces années-là qui font réaliser à pas mal de gamins que la vie n’est vraiment pas juste. À une échelle microcosmique, vous pouvez avoir un(e) ami(e) qui vous tourne le dos, un(e) petit(e) copain(e) qui vous traite de manière horrible, ou, soudain, la couleur de votre peau, ou votre genre, ou votre religion fait de vous une cible. D’un point de vue plus général, vous vous rendez compte que des guerres ravagent toujours le monde, que des millions d’êtres humains souffrent, que la guerre nucléaire est toujours une menace… Je ne pense donc pas qu’il manque quoi que ce soit aux adolescents pour être optimistes. C’est peut-être qu’ils en apprennent tellement sur le monde dans lequel ils vivent qu’ils ont besoin de temps pour assimiler tout cela.
Au collège et au lycée, quel genre d’élève étiez-vous : plutôt turbulente, sympa, paresseux, insolent… ?
Susin Nielsen :Haha ! Tout ça à la fois ! J’ai été très dissipée, pendant de nombreuses années – mes hormones s’en donnaient à cœur joie, et je faisais le grand huit émotionnel (ma pauvre, pauvre mère). J’étais obsédée par les garçons, je ne traitais pas mes amies aussi bien que j’aurais dû le faire… Parfois, j’étais moquée ou mise à l’écart par mes pairs, parfois, c’était moi qui mettais en quarantaine. J’étais aussi une élève très paresseuse. J’ai fait en sorte d’obtenir un B en moyenne générale, ce qui, à l’époque, était suffisant pour intégrer Ryerson. Mes années lycée n’ont certainement pas été les meilleures de ma vie. Mais j’en garde des souvenirs émotionnels très précis, et c’est un cadeau précieux pour mon travail.
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui voudraient se lancer dans l’écriture ?
Susin Nielsen :Écrivez ! Et lisez ! Parfois, je suis soufflée par le fait que même certains des étudiants (en université, qui sont en cours d’écriture créative) admettent ne pas lire beaucoup. Vous ne pouvez pas être un écrivain sans être un lecteur. Vous ne pouvez pas être un écrivain non plus si vous ne faites pas le boulot de poser vos fesses sur une chaise pour y travailler dur et écrire, et ce aussi souvent que possible. Cela vous prendra sans doute des années et des années pour peaufiner votre voix. Cela m’a certainement pris des années, à moi ! Et c’est très bien comme ça. Vous devez juste vous y tenir. Et par pitié, ne le faites pas pour l’argent.
Propos recueillis par F.C. – Traduits de l’anglais par Gilberte Bourget